Devant les sections ordinales des assurances sociales

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Le médecin traduit devant les sections des assurances sociales des juridictions ordinales bénéficie-t-il toujours des règles essentielles de fonctionnement et de procédure, garanties naturelles de tout particulier inculpé d’une infraction répréhensible ? Il ne semble pas que ce soit le cas - blog.

Si l’article R315-1-1 du code la sécurité sociale précise que le médecin-conseil “peut en tant que de besoin entendre et examiner” les patients du professionnel concerné, rien dans la rédaction de ce décret ne sous-entend une quelconque valeur de témoignage avec force probante à cette audition.
Et pourtant, c’est à partir de cette interprétation contraire à tous les principes fondamentaux du droit que des médecins se voient sanctionnés à des peines d’interdiction de donner des soins à des assurés sociaux.

Le cumul des fonctions partie plaignante et témoin : une procédure contraire aux droits fondamentaux

Bien qu’une jurisprudence du Conseil d’État du 14 mai 1926 confirme que les parties ne peuvent évidemment pas être entendues comme témoins, une décision du 26 janvier 2000 de la section des assurances sociales du Conseil national de l’Ordre des médecins statue différemment.
Selon le considérant essentiel de cette décision, le témoignage indirect d’un agent enquêteur de la sécurité sociale ayant auditionné des patients constitue une attestation probante. On appelle témoignage indirect celui par lequel le déclarant rapporte le récit qu’une personne déterminée a fait en sa présence. Comme le témoignage direct, il possède une force probante.

Mais direct ou indirect, un témoignage ne peut être produit par la partie plaignante. Le fait qu’il soit établi par un agent assermenté de la sécurité sociale ne change rien à cette règle.

Sans vouloir insinuer que des questions orientées ou itératives de l’agent enquêteur de la sécurité sociale visent à obtenir des réponses prédéterminées, le fait même et la formulation de l’interrogatoire par l’organisme-payeur peuvent susciter une réactivité de la personne interrogée et fausser son audition.
C’est la raison pour laquelle la déclaration de l’agent assermenté de la sécurité sociale ne peut constituer un témoignage ayant force probante.

Conformément à la jurisprudence citée plus haut, on aurait dû attacher à ce soi-disant témoignage la seule valeur d’un renseignement sans force probante. Cela ne signifiant pas que des doutes soient formulés sur l’exactitude de la relation faite par l’agent assermenté des réponses du patient à ses questions, ni que des critiques soient émises sur l’appréciation souveraine par les juges du fond des faits relatés dans ces renseignements. Mais les conditions dans lesquelles se déroule l’audition ne permettent pas de faire état d’attestations ayant force probante.

Absence de réponse aux moyens soulevés par la défense

Les Caisses utilisent souvent des “avis sapiteurs” délivrés dans des conditions fort critiquables par ailleurs et les décisions ordinales font souvent référence à ces avis.

Il arrive toutefois que l’avis sapiteur soit favorable au médecin incriminé et dans ce cas on cherchera en vain dans la décision la moindre trace de cet avis utilisé comme moyen de défense.

Si le litige porte sur la délimitation d’une zone anatomique, par exemple savoir si la région axillaire est partie intégrante de la zone mammaire ou constitue une entité distincte, l’avis sapiteur, pas plus que le Rouvière [1], ne trouve intérêt aux yeux de la formation de jugement qui reprend sans aucune argumentation la position de la Caisse.

Galilée devait reconnaître la vérité énoncée par ses persécuteurs, Rouvière et ses partisans doivent faire de même.

La rédaction de certaines décisions ne respecte parfois aucune logique ou ne correspond pas au grief formulé. C’est ainsi qu’un médecin ayant effectué des dépassements pour “exigence de temps”, attestée par les lettres des patients, se voit condamné pour dépassement injustifié.

Une décision admettant la réalité d’un acte hors nomenclature effectué en même temps qu’un acte répertorié à la nomenclature générale des actes professionnels reproche au médecin d’utiliser les moyens matériels pris en charge par l’assurance maladie, alors que l’exécution de cet acte n’a donné lieu à aucune facturation supplémentaire de frais de salle opératoire ou d’anesthésie.

Il est malheureusement possible de poursuivre indéfiniment une liste d’anomalies n’étant que la conséquence de l’absence de réponse aux moyens soulevés par la défense.

“S’il est acquis que les différentes procédures sont des garanties pour tous d’un État de droit” , selon les termes de Maître Dominique de la Garanderie, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats à la Cour de Paris [2], on comprend mal pourquoi les médecins sont les seuls exclus de cet État de droit. À une époque où des dossiers sont clos quotidiennement pour le moindre vice de procédure, le médecin s’étonne que la “maîtrise médicalisée des dépenses de Santé” autorise ces écarts aux droits fondamentaux.

Une procédure inquisitoriale…

Si le médecin justiciable n’est pas démuni devant cette procédure d’exception, l’avocat constate que cette situation évoque certains caractères d’une procédure inquisitoriale.

Il est toujours possible de soulever devant les juridictions ordinales les exceptions liées aux principes généraux du Droit, aux principes à valeur constitutionnelle, sans oublier les principes du droit communautaire. Contrairement à certaines affirmations, tous ces principes sont applicables à la procédure disciplinaire. Un arrêt du Conseil d’État qui n’est pas récent, puisqu’il date du 20 juin 1913, l’arrêt Téry, a consacré le développement de la protection des droits de l’individu par le Conseil d’État en confirmant les droits de la défense devant les juridictions administratives ainsi qu’en énonçant certaines des règles de fonctionnement et de procédure qui doivent être respectées.
Le même arrêt précise, en ce qui concerne les juridictions disciplinaires, que même si les règles de procédure ne sont pas écrites dans un texte général - dans un Code - on doit cependant appliquer à cette procédure “les règles essentielles des formes judiciaires”.

La maîtrise médicalisée des dépenses de santé mérite-t-elle ce régime d’exception dans la France de la Déclaration des droits de l’Homme ? Et le code des tribunaux administratifs serait-il un ouvrage subversif et interdit ?

Quelle est la finalité de cette situation ? Les médecins perçoivent très mal leur exclusion de l’État de droit, alors que leur collaboration est indispensable pour la réussite de la maîtrise des dépenses de Santé

Jacques Vitenberg

Chargé d’enseignement de droit médical à Paris V
Lauréat de la Faculté de médecine de Paris
Ancien professeur à l’Institut d’histochimie médicale
Avocat au Barreau de Paris

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